lundi 9 septembre 2013

Luc Henrist / La mort m’est un gain ?


Nous vivons dans une société où il est tabou, pour ne pas dire «interdit» de parler de la mort, sauf dans les films de violence gratuite dont on nous abreuve au quotidien à la télévision…
…et dans lesquels on nous montre des corps disloqués, défigurés par des monstres assoiffés de sang. Mais pour la majorité d’entre-nous, la mort qui nous attend sera bien différente : La réalité est que nous avons bien plus de chances de mourir d’une «tumeur» ou d’un accident «cardio-vasculaire» selon les statistiques, que dans des circonstances tragiques.
La réalité est que l’on vit de plus en plus vieux (moyenne d’âge en France : 77.5 pour les hommes, 84.3 pour les femmes). Mais la question qu’on peut se poser est : «Vit-on mieux parce qu’on vit plus longtemps ?». En d’autres mots, on nous «garde» en vie par des traitements, des médicaments et parfois même par des «machines» mais, est-ce cela «vivre» ?
Dans une interview accordée au Figaro le 21 août 2013, le psychanalyste Jacques Arènes répond à cette question : «Notre condition mortelle est-elle un frein à l’épanouissement humain ?». Au contraire, répond-il. Freud affirmait : «si tu veux la vie, prépare la mort». Jacques Arène surenchérit : «Penser à la mort permet de donner sens et forme à sa propre vie. Malheureusement, cette condition mortelle, par nature très douloureuse, n’est plus présente dans le monde comme un fait qu’il faut penser et travailler pour élargir nos vies. On parle de la mort comme de ce que l’on pourrait éviter ou de ce que l’on cherche à contrôler, en recourant par exemple, à l’euthanasie»…
Il est parfois étonnant de constater que dans nos milieux chrétiens, la mort est tout aussi «cachée» ou «repoussée» comme si on pouvait l’éviter ou même la repousser en priant pour garder le moribond en vie ou même parfois, en essayant de le ressusciter… De toute évidence, ce désir de rester sur terre, de ne pas, comme le dit ce vieux cantique : «quitter ces lieux bénis» (avec peut-être une pointe d’ironie, quand on pense à la souffrance et aux difficultés de la vie) est contraire à la déclaration de l’Apôtre Paul: «la mort m’est un gain».
Pourquoi alors vouloir rester sur cette terre à tout prix ? Quand on voit la façon dont certains s’accrochent à cette terre, on se demande si le chrétien moyen est sincère en chantant les paroles d’un autre cantique qui déclare : «Voir mon Sauveur face à face, voir Jésus dans sa beauté ! Oh joie !, oh suprême grâce, oh bonheur, félicité !». Un chrétien m’a dit un jour avec un brin d’humour : «Le vin d’ici vaut mieux que l’eau de là…» C’est comique, mais cela reflète sans doute bien la façon de penser de pas mal de chrétiens…
Croyons-nous véritablement, comme on le dit lors de funérailles à l’Armée du Salut, que la personne a été «promue» ? Ou bien s’agit-il de paroles vides de sens ? Croyons-nous véritablement que lorsque nous «rendons l’esprit», que nous le rendons à notre Créateur pour entrer dans sa présence ? Je me souviens de l’enterrement d’un ami, un juif polonais, survivant de la Shoah à Jérusalem. Sur les murs de la salle où son corps lavé avait été simplement enveloppé dans un châle de prière (talith) se trouvait cette inscription, ce rappel, à tous ceux qui seraient un jour appelés à venir dire «au revoir» à l’un de leurs proches : «L’Eternel a donné, l’Eternel a repris. Béni soit le Nom de l’Eternel» (Job 1 :21). Cette déclaration nous encourage à remercier Dieu pour la vie de cette personne qui est venue passer, comme une vapeur, quelques instants, quelques années dans ce monde… A plus forte raison s’il s’agit d’une personne qui a par ses actions, par ses paroles, apporté quelque chose de positif dans ce monde, si elle a laissé derrière elle un «parfum de bonne odeur». Au lieu de gémir, rendons grâce pour la bénédiction que cette personne a apportée au monde.
Dans la tradition juive, lorsqu’une personne décède, les membres de sa famille sont appelés à réciter le «Kaddish» tous les jours, pendant 7 jours. La plupart des gens croient qu’il s’agit d’une prière «pour les morts». C’est faux. Aucune référence au deuil ou à la mort n’y paraît. Il s’agit en réalité, d’une prière de louange à Dieu. Le Kaddish exprime la soumission à la volonté divine dans l’attente de la venue de son Royaume sur la terre :

Que le Nom de l’Éternel soit sanctifié et magnifié dans le monde qu’il a lui-même créé selon l’expression de sa volonté, et qu’il établisse son règne de notre vivant et du vivant de toute la maison d’Israël, bientôt et dans un avenir très proche. Que le grand Nom du Seigneur soit loué maintenant et toujours pour les siècles des siècles. Que le Nom du Saint – béni soit-il – soit béni, célébré, exalté, magnifié et loué au-dessus de toute bénédiction, célébration, exaltation, cantique et louange. Amen. Que les prières et les supplications d’Israël soient entendues par le Père céleste. Amen. Que la paix vienne du ciel, pour nous et pour toute la maison d’Israël. Amen.
Lorsqu’un être cher nous devance pour aller dans cet endroit où il n’y a plus «ni deuil, ni cri, ni douleur» (Apo.21 :4) et que nous restons avec la douleur de cette perte, ne prétendons pas que «ça va» et n’essayons pas de faire le «surhomme». Soyons assez humbles pour «vivre notre deuil». Le deuil n’est pas quelque chose de facile à surmonter. Il nécessite du temps et un véritable travail sur soi. Apprendre à accepter sans pour autant oublier, c’est bien là toute la difficulté. Et pourtant, c’est essentiel pour réussir à accepter la mort d’un proche. C’est en acceptant cette fin propre à tout homme et relativisant ce qui nous parait accablant et insurmontable que nous parviendrons à avancer au cours de notre vie. Évoquer le passé, les bons moments peut être une manière de se décharger de toute cette peine qui pèse lourd sur vos épaules. Car oui, une fois acceptée, même si la douleur ne sera jamais complètement dissoute, elle s’atténuera à mesure que vous avancerez.
Notre devoir est de nous assurer de pouvoir un jour déclarer avec l’Apôtre Paul (II Timothée: 4v7-8) : «J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. Désormais la couronne de justice m’est réservée; le Seigneur, le juste juge, me la donnera dans ce jour-là…»
En tant que chrétiens, nous devrions être véritablement dans la joie de savoir que lorsque nous quitterons «ces lieux bénis», nous verrons en effet «notre Sauveur, face à face» et «pour toujours en Sa présence», nous serons enfin semblables à Lui !
Luc Henrist
 
Publié par: Ivan Thévoz
 

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